Belgique : le choix du non-accueil
Équipe plaidoyer de France terre d'asile - Publié le 15 décembre 2025
Depuis 2021, les associations belges alertent sur la saturation du dispositif d’hébergement et les conditions d’accueil des personnes exilées à travers le pays. Le nouveau gouvernement, au pouvoir depuis février 2025, a pris un tournant plus restrictif encore, cherchant à dissuader les personnes en recherche de protection de s’installer en Belgique, en dépit des nombreuses condamnations de l’État pour non-respect de ses obligations légales en matière d‘accueil.
En 2024, Pascal, originaire du Congo, témoignait des conditions de vie extrêmement difficiles auxquelles sont confrontées les personnes exilées en Belgique – notamment les hommes seuls. Dormant dans la rue, il partageait ses craintes : « La Belgique va vraiment nous laisser ici tout l’hiver ? Vous savez qu’il va y avoir un mort à ce rythme-là ! ». Comme le montre Amnesty International dans son rapport de 2025 « Ni logé·e·s, ni écouté·e·s », les autorités belges respectent de moins en moins leurs obligations légales au regard du droit européen et international concernant l’accès des personnes exilées à l’hébergement, aux soins, ou encore à l’hygiène.
Le gouvernement de Bart de Wever, au pouvoir depuis février 2025, a marqué un nouveau tournant en matière de non-accueil des personnes exilées, dans la continuité des décisions prises depuis 2021. La Belgique a fait face à un nombre croissant de demandes d’asile, avec une augmentation de 53,6%. Les associations ont alerté le gouvernement à plusieurs reprises concernant le système d’accueil, sous-dimensionné, et donc saturé. Fedasil, l’organisme en charge de l’accueil des personnes en demande d’asile, a alors choisi de prioriser l’hébergement des publics les plus vulnérables, excluant souvent les hommes seuls des solutions d’accueil. En août 2023, les autorités ont décidé de suspendre temporairement l’accueil de ces derniers, toujours dans l’optique de privilégier celui des familles – malgré le fait que cette décision soit contraire au droit européen. En conséquence, de très nombreuses personnes doivent survivre à la rue, généralement dans des lieux de vie informels – tels que le mal-nommé « Palais des droits », évacué en 2023, dans lequel vivaient plus de 1 000 personnes.
Pour subvenir à leurs besoins, les personnes en demande d’asile ne perçoivent qu’un soutien financier très faible, une allocation d’une soixante d’euros par semaine, et vivent dans une grande précarité. L’agence Fedasil doit toutefois leur fournir un endroit où dormir, de quoi se nourrir, des vêtements et un accès à des sanitaires. Malgré cette obligation légale, selon un rapport de plusieurs ONG, près de 3 000 personnes en demande de protection internationale étaient contraintes de dormir à la rue chaque mois en 2024. L’État a été condamné plus de 16 000 fois par différentes juridictions belges et internationales depuis 2022, en raison de ses manquements dans l’hébergement des demandeurs d’asile. La Cour européenne des droits de l’Homme a ainsi condamné la Belgique en 2023, pointant la « carence systémique des autorités belges d’exécuter les décisions de justice définitives ». Un « bras de fer » entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire s’est progressivement mis en place : Anneleen Van Bossuyt, ministre de l’Asile et de la Migration depuis février 2025, refuse d’appliquer les décisions de justice, qui ordonnent de fournir aux personnes demandeuses d’asile un accueil et un hébergement. Face aux déclarations de la ministre, le Collège des procureurs généraux, le Collège des cours et tribunaux et la Cour de cassation ont publié un communiqué commun, affirmant que les autorités publiques se devaient également de respecter l’État de droit et d’exécuter les jugements définitifs.
« Ne venez pas ici »
Ce recul des droits des personnes exilées ne se limite pas à l’hébergement. Pour établir ses politiques, la coalition au pouvoir s’inspire du modèle danois, connu pour être l’un des plus strictes au sein de l’Union européenne. Le durcissement des règles du regroupement familial, avec un relèvement du seuil de revenus exigé et de l’âge minimum requis, mais aussi la complexification de l’accès au séjour et au statut de réfugié, constituent de nouveaux obstacles. Parallèlement, des stratégies telles que la cyber-campagne « Ne venez pas ici » ont été mises en place pour dissuader les personnes souhaitant demander l’asile dans le pays.
Ces politiques ne semblent pas avoir les effets escomptés sur le nombre de personnes demandeuses d’asile en Belgique. En effet, en 2024, 39 615 personnes ont déposé une demande de protection dans le pays – soit une augmentation 11,6% comparativement à 2023, et de 7,2% par rapport à 2022. Si la Belgique a connu un pic migratoire en 2022, la majorité des personnes ayant immigré dans le pays viennent de l’Union européenne. En 2024, 11% d’entre elles étaient de nationalité belge. Les autres sont majoritairement françaises, roumaines, ou encore italiennes : « les 4 premières nationalités représentées sont originaires de l’Union européenne ».
La répression visant les personnes en situation irrégulière se fait de plus en plus forte : cet été, la réintroduction des visites domiciliaires a été largement critiquée par les associations. Cette mesure, souhaitée par l’ancien gouvernement dès 2018 – et rejetée par le Parlement – permet aux forces de l’ordre, en collaboration avec l’Office des étrangers, de pénétrer dans le domicile d’une personne en situation irrégulière pour l’arrêter. Bien que cette procédure nécessite l’aval d’un juge d’instruction, elle peut concerner toute personne faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire, pouvant donner lieu à des décisions arbitraires, violant l’intimité des personnes. Les juges interrogés alertent sur le fait que l’appréciation qui leur est demandée n’est pas basée sur une enquête ou sur des indices sérieux, et qu’« il n’y a pas de réelle garantie sur le pouvoir discrétionnaire qui est laissé à la police ».

Bart de Wever, premier ministre de Belgique.
© European Union, 1998 – 2025
Une intégration détériorée
Si la Belgique est considérée comme l’un des pays les plus favorables à l’intégration des personnes exilées en Europe, l’indice Mipex (index des politiques d’intégration des personnes migrantes) alerte sur le durcissement déjà engagé des politiques publiques. D’après une annonce de la ministre de l’Asile et de la Migration en septembre, le revenu d’intégration, aide financière délivrée aux personnes résidant de manière régulière sur le territoire et dont les moyens de subsistance sont insuffisants, serait bientôt conditionné aux « efforts d’intégration » des personnes. Le montant de cette allocation étant déjà inférieur au seuil de pauvreté du pays, une baisse de ces aides aurait de lourdes conséquences sur les conditions de vie des personnes concernées, déjà précaires. Les personnes reconnues réfugiées pourraient en bénéficier à 100%, mais verraient le montant diminuer en fonction de leur intégration, mesurée selon leur maîtrise de l’une des langues du pays ou selon leur insertion professionnelle. À l’inverse, les personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire ou temporaire ne toucheraient pas directement la totalité du montant, mais pourraient obtenir des « bonus d’intégration ».
Ce durcissement pourrait mener la Belgique à mettre en place une intégration dite temporaire, au détriment des personnes exilées mais aussi de la société belge. De nombreuses études mettent en lumière l’importance de la contribution des personnes migrantes et de leur intégration au marché du travail pour la croissance économique des pays – plus encore dans des sociétés européennes vieillissantes, telles que la Belgique. Selon l’OCDE, les personnes d’origine étrangères y représentent l’un des principaux moteurs de la croissance de la population active.
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