L’Égypte adopte la première loi sur l’asile de son histoire, sans améliorer le système actuel
Équipe plaidoyer de France terre d’asile - Publié le 24 juillet 2025
Le 16 décembre 2024, la toute première loi nationale en matière d’asile a été ratifiée en Égypte. Elle n’améliore toutefois pas le cadre juridique existant, établi sur la base des opérations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, chargé de l’enregistrement des demandes d’asile, de l’octroi de la protection internationale et de l’accompagnement des personnes réfugiées en Égypte.
Amina fait partie des 1,5 million de personnes d’origine soudanaise réfugiées en Égypte. Dans ce pays où elle est venue chercher refuge, elle a souffert, comme beaucoup d’exilés, de violences de l’État. Après avoir été impliquée dans un accident de voiture, elle a été placée en détention sur la base militaire d’Abu Ramad. Détenue dans des conditions inhumaines, dans des cellules surpeuplées sans eau ni lumière, elle ne pouvait accéder aux médicaments nécessaires pour traiter son diabète.
Depuis avril 2023, le nombre de personnes fuyant le conflit interne au Soudan arrivant en Égypte a fortement augmenté. Aujourd’hui, elles représentent 73 % des personnes enregistrées auprès du Haut-Commissariat pour les Nations Unies (HCR) en Égypte. Malgré leur statut de réfugiés ou de demandeurs d’asile, elles vivent sous la menace permanente d’une arrestation arbitraire. Dans la région d’Assouan, frontalière du Soudan, la police arrête massivement les exilés, y compris lorsqu’ils se rendent à un entretien au Caire avec le HCR, ou lorsqu’ils sont déjà titulaires d’une carte de réfugié.
D’après l’Organisation internationale pour les migrations, l’Égypte accueille 9 millions de personnes migrantes, dont 992 000 sont enregistrées auprès du HCR en tant que demandeuses d’asile ou bénéficiaires de protection internationale, au 31 mars 2025. Les conditions de vie des personnes réfugiées en Égypte ont été largement dénoncées : difficultés d’accès au logement, absence d’aide financière, d’accès aux soins, d’accès à l’éducation pour les enfants, risques de détention et d’éloignement forcé. Entre 2016 et 2021, dans le cadre de sa coopération avec l’Union européenne, l’Égypte avait déclaré avoir intercepté et détenu plus de 100 000 personnes. Ces personnes pourraient être éloignées sans avoir la possibilité de demander l’asile ni de voir leur statut de réfugié respecté.
Une loi sans avancées pour les demandeurs d’asile et réfugiés
La récente loi égyptienne « n° 164 de 2024 » sur l’asile vise à simplifier et accélérer la délivrance de permis de séjour et à encadrer le statut juridique des personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Elle est pourtant largement critiquée pour n’apporter aucune amélioration des droits des personnes migrantes, voire pour y porter atteinte.
La loi crée un vide juridique et une situation de confusion aussi bien pour les personnes exilées que pour les ONG actives dans le pays. Elle transfère en effet la responsabilité de l’enregistrement et de l’octroi de l’asile du HCR à un Comité permanent pour les réfugiés, qui opère sous l’autorité du Premier ministre. Cependant, aucune transition du régime du HCR au régime de la nouvelle loi n’a été prévue. Aucune disposition ne définit le statut des demandeurs d’asile déjà enregistrés auprès du HCR ou dont les dossiers sont encore en cours d’examen. En juillet 2025, le Comité permanent pour les réfugiés n’avait toujours pas été formé. Il n’y a donc pas de corps exécutif pour enregistrer et examiner les demandes d’asile, ce qui est toujours effectué par le HCR à ce jour, en dehors de son mandat légal.
Le statut de réfugié tel que défini par la nouvelle loi crée aussi un risque d’exclusion d’un grand nombre de personnes demandeuses d’asile. La loi sur l’asile définit un réfugié comme « toute personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle en raison d’un motif raisonnable fondé sur une crainte sérieuse et fondée de persécution ». Cette définition, inspirée de la Convention de Genève, accroît toutefois la nécessité d’apporter des preuves au récit d’asile, en ajoutant le qualificatif de « sérieuses » aux craintes qui fondent une demande d’asile.
La loi sur l’asile ne mentionne par ailleurs pas de mécanisme de recours transparent contre une décision de refus d’asile, et permet de révoquer la protection internationale grâce à des notions floues telles que la sécurité nationale, le terrorisme ou les « violations des valeurs et traditions égyptiennes », laissant planer la menace de décisions administratives arbitraires. Ces lacunes font persister les risques d’éloignement vers des pays dans lesquels les personnes craignent des persécutions, alors que la loi ne contient aucune protection sûre contre les retours forcés. Des risques dénoncés par les ONG en Égypte : « Il y a quelques années, nous pouvions dire aux réfugiés que s’ils avaient une carte du HCR, ils seraient à l’abri d’un [éloignement] » ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
L’Union européenne, fervent soutien de cette loi sur l’asile
Ce nouveau système égyptien d’asile a été encouragé par l’Union européenne. Depuis 2021 déjà, l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (UEAA) coopère avec l’Égypte afin de l’accompagner dans l’élaboration d’une législation nationale en matière d’asile.
Depuis 2017, l’UE et l’Égypte ont intensifié leur coopération en matière de migration, s’inscrivant dans la stratégie globale d’externalisation de la politique migratoire et d’asile de l’UE. En mars 2024, dans la continuité de cette coopération, l’UE et l’Égypte ont signé un partenariat stratégique global destiné à limiter l’immigration irrégulière vers l’Europe. L’Égypte a mis en place des mesures visant à freiner les départs depuis ses côtes, ce qui a occasionné une augmentation des départs depuis sa frontière avec la Libye et accru les risques d’interceptions des embarcations par les garde-côtes libyens.
Alors que l’Égypte est loin d’être un pays sûr, tant pour les personnes migrantes que pour ses ressortissants, cette coopération interroge. Le pays compte des dizaines de milliers de prisonniers politiques, notamment des journalistes, des universitaires, des personnes arrêtées en raison de leurs opinions, et continue d’avoir recours à la peine de mort. En 2023, le Comité des Nations Unies contre la torture a également fait état d’un recours généralisé à la détention arbitraire sans inculpation ni contrôle judiciaire et d’allégations de disparitions forcées, de tortures et de mauvais traitements infligés par des policiers et gardiens de prisons. Ces éléments n’ont toutefois pas empêché la Commission européenne d’inscrire l’Égypte sur la liste des « pays d’origine sûr » proposée aux colégislateurs européens en avril dernier, ouvrant la voie à des procédures d’asile et des éloignements accélérés pour ses ressortissants.
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