Des réseaux de villes solidaires pour favoriser un meilleur accueil des réfugiés en Europe
Lors du 5e Forum des Maires sur la Mobilité, les Migrations et le Développement qui s’est tenu à Marrakech en décembre 2018, les collectivités territoriales ont appelé à ce que leur rôle dans la gouvernance des migrations soit reconnu
Au cours de la dernière décennie, et plus intensément à partir des années 2015-2016, les autorités locales – principalement municipales – se sont affirmées comme des actrices majeures des politiques migratoires et d’asile, exprimant même pour certaines leur opposition aux politiques nationales. Les villes mènent leurs actions parfois de manière individuelle, mais face aux blocages auxquels sont confrontées les politiques d’asile nationales et européennes, les municipalités ont souvent fait le choix de s’unir ou de mobiliser leurs réseaux pour promouvoir l’accueil et l’intégration des populations réfugiées et demandeuses d’asile. Reflets d’une réalité multiple, ces réseaux possèdent aujourd’hui des objectifs convergents et sont confrontés à des difficultés similaires.
Au sein de l’Union européenne (UE), comme au niveau national, l’association des espaces urbains dans le domaine de l’asile et de la migration a pu se faire grâce l’intégration de la thématique au sein des activités de réseaux préexistants, ou à travers la création de nouveaux réseaux dédiés. Par exemple, le réseau britannique City of Sanctuary (Villes sanctuaires), créé en 2005, et l’Association nationale des villes et territoires accueillants, née en France en septembre 2018 à l’initiative de plusieurs maires, illustrent la volonté de mise en réseau des gouvernements locaux à l’échelle nationale pour développer de nouvelles politiques et pratiques dans le domaine migratoire. Au niveau européen, le réseau EUROCITIES, un réseau ancien de coopération générale entre 130 villes européennes, a graduellement intégré la thématique migratoire dans ses actions, notamment grâce au projet Solidarity Cities lancé en 2015 qui réunit des villes portuaires qui désirent faire pression sur l’UE en vue de la mise en place d’une approche coordonnée des questions migratoires. Parmi les nombreux réseaux européens figure aussi le Réseau européen des villes solidaires fondé en 2015 à l’initiative des maires de Strasbourg, Catane et Rovereto, deux villes d’Italie, et qui réunit aujourd’hui plus de 60 municipalités.
Les réseaux de villes solidaires poursuivent généralement des objectifs similaires. Ils cherchent tout d’abord à créer des instruments de droit souple (guides informatifs, recueils de bonnes pratiques etc.) pour influencer la mise en place de politiques locales d’accueil et d’intégration respectueuses des droits fondamentaux des personnes migrantes et réfugiées. Certaines bonnes pratiques identifiées par les réseaux sont érigées en standards, que les membres s’engagent à respecter et à diffuser à d’autres villes. En ce sens, en 2017, le Réseau européen des villes solidaires a publié un « vade-mecum » sur l’accueil et l’intégration des réfugiés dans les villes européennes, qui se targue d’être un « instrument d’aide à la décision et une véritable source d’inspiration à l’attention des villes qui pourraient se sentir désemparées ou isolées face à l’arrivée de nombreux réfugiés sur le territoire ».
Les villes s’unissent également pour faire pression sur les autorités nationales, européennes ou internationales et davantage influencer les processus décisionnels, de sorte que les différents échelons de pouvoir assument leurs responsabilités et respectent les droits des populations migrantes. Pour cela, les réseaux de villes utilisent différents moyens d’action et de plaidoyer comme la prise de positions communes, la participation ou l’organisation d’événements ou de journées dédiées, ou encore la formulation de recours juridiques. Il n’est pas rare de voir les réseaux de villes solidaires s’allier aux organisations de la société civile dans ce travail de plaidoyer, comme dans le cadre du projet Snapshots from the Borders qui réunit ces deux types d’acteurs en vue de modifier les perceptions et les discours sur les personnes migrantes et réfugiées. Dans le cadre de ce projet ont été organisés le 13 octobre 2019, dans plusieurs villes, de multiples événements. Les réseaux de villes solidaires peuvent ainsi insuffler, au sein de la société civile, un élan de mobilisation. À l’inverse, le mouvement allemand Seebrücke, fondé à l’été 2018 par des militants de la société civile, a été à l’origine de la formation d’une alliance de 26 municipalités (aujourd’hui 121) acceptant d’offrir des places d’accueil supplémentaires pour répondre aux situations d’urgence en Méditerranée.
Grâce à leurs alliances, les villes ne cherchent pas uniquement à influencer les décisions, mais aspirent aussi à prendre part directement au processus décisionnel en matière migratoire à tous les niveaux de gouvernance. L’émergence des réseaux de ville solidaires au niveau national, et surtout au niveau transnational, a permis une reconnaissance de plus en plus importante de la légitimité des villes à s’exprimer sur la question des politiques de l’asile et de l’immigration. En effet, des acteurs institutionnels tels que l’ONU ou l’Union européenne prennent désormais appui sur l’expertise de ces acteurs locaux afin de justifier l’adoption de nouvelles politiques en la matière. En 2018, le Mécanisme des maires du Forum mondial sur les migrations et le développement a notamment été mis en place. Il est co-présidé par un représentant de l’Organisation internationale pour les migrations et constitue à la fois un réseau d’échange entre villes mais aussi une plateforme d’interaction avec les États et organisations internationales sur les thématiques migratoires.
Les réseaux de solidarité entre villes se multiplient au niveau national comme régional et intègrent de plus en plus de municipalités en leur sein, permettant une plus large diffusion des standards et principes qu’ils défendent en matière d’accueil et d’intégration des réfugiés. Cependant, cette expansion peut aussi être à l’origine de nouveaux défis et limites. Au niveau européen comme national, on décompte un grand nombre de réseaux de villes solidaires dont les mandats et actions se recoupent, ce qui a un impact direct non seulement sur la distribution des financements et ressources entre plusieurs entités réalisant le même travail, mais aussi sur l’efficacité des programmes développés et les risques de duplication des actions. Au sein des réseaux, ce sont souvent les mêmes villes que l’on retrouve, ce qui pose la question de la représentation des acteurs qui ne sont pas traditionnellement inclus dans ces cercles, et donc de la représentativité de ces réseaux.
Au sein de réseaux anciens ou nouveaux, au niveau national ou transnational, les villes européennes jouissent d’une influence grandissante sur la formulation des politiques d’asile et d’immigration. Longtemps au second plan, les municipalités parviendront-elles à devenir des actrices incontournables des politiques migratoires ? Dans l’intérêt des personnes migrantes autant que des citoyens, l’enjeu réside aussi dans la coopération entre gouvernements, villes et société civile.