La Libye ou l’impasse d’une solution migratoire européenne
Depuis le début de l’année 2018, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a dénombré 13 500 migrants et réfugiés interceptés par les garde-côtes libyens en Méditerranée. Illustration du renforcement progressif des compétences attribuées aux agents responsables de la surveillance des côtes en Libye, ce nombre est en augmentation par rapport à l’année 2017, lorsque 5 500 personnes avaient été interceptées en mer et rapatriées en Libye.
L’Union européenne ayant de nouveau renforcé sa coopération avec les autorités libyennes, en confiant notamment la coordination des opérations de sauvetage des migrants en Méditerranée aux garde-côtes libyens, mission auparavant assurée par les autorités italiennes, ce chiffre sera amené à croître encore davantage.
Pour garantir cette coordination, la Libye peut compter notamment sur le soutien de l’Italie, dont le Parlement a voté début août l’envoi de navires et de zodiaques patrouilleurs destinés à aider les garde-côtes libyens.
Pourtant, le rapatriement des migrants et réfugiés en Libye et le sort qui leur est réservé sur le sol libyen sont vivement critiqués par les institutions onusiennes et les organisations non gouvernementales. Pour le HCR, la Libye n’est pas un « pays sûr », et les pays y reconduisant des migrants et réfugiés secourus dans les eaux internationales s’exposent à des violations du droit international, et notamment du principe de non refoulement. Le HCR a ainsi demandé l’ouverture d’une enquête après qu’un navire italien, l’Asso Ventotto, ait débarqué 108 personnes secourues dans les eaux internationales fin juillet, en Libye. L’Italie avait déjà été condamnée en 2012 (arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie) par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation du principe de non refoulement après qu’un navire italien ayant intercepté une embarcation en haute mer ait ramené ses occupants directement en Libye, sans évaluer leur situation individuelle et les risques encourus. Plus récemment, l’Aquarius, navire humanitaire des ONG SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, a refusé de suivre les consignes données par les gardes-côtes libyens qui lui ordonnaient de transférer en Libye des personnes sauvées en mer. L’ONG a justifié ce refus en déclarant que la « Libye ne peut être considérée comme un port sûr ».
De plus, le sort réservé aux migrants et réfugiés rapatriés en Libye depuis 2017, date de début des mesures européennes renforçant les moyens d’action des garde-côtes libyens, ne cesse également d’inquiéter les institutions onusiennes et les ONG. À la fin de l’année 2017, la communauté internationale s’alarmait face aux révélations de la chaine américaine CNN exposant des réfugiés et migrants soumis à l’esclavage en Libye. Quand ils ne sont pas vendus comme esclaves, les migrants et réfugiés sont placés en centres de détention, où, selon Amnesty International, « les atteintes aux droits humains sont monnaie courante et la nourriture et l’eau [y] sont insuffisantes ». Pour Médecins Sans Frontières, les centres de détention y sont surpeuplés et exposent ainsi les personnes retenues à des conditions de vie « effroyables et arbitraires ».
Déjà difficile, la situation des réfugiés et migrants présents en Libye s’aggrave à cause de la situation sécuritaire qui règne actuellement dans le pays. Au cours des dernières semaines, plusieurs villes libyennes, dont la capitale Tripoli, où des violences ont éclaté le 26 août dernier, sont le théâtre d’affrontements entre groupes armés et milices. Vivement inquiet pour les civils se trouvant dans la capitale libyenne, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies (HCDH) s’alarme tout particulièrement du sort subi par les migrants. En effet, le HCDH s’inquiète pour les 8 000 personnes retenues arbitrairement dans des centres de détention proches des zones de conflits, mais aussi pour les réfugiés et migrants libérés et exposés au trafic d’êtres humains et au recrutement forcé organisé par les milices.
Face à cette situation sécuritaire instable et suite à la mobilisation provoquée par le reportage de CNN, le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) organisent depuis plusieurs mois des évacuations de migrants et réfugiés. Ainsi, entre janvier et juillet 2018, l’OIM a permis l’évacuation de près de 11 000 personnes se trouvant en Libye vers leur pays d’origine. Le HCR organise également l’évacuation de centaines de réfugiés et migrants : entre novembre 2017 et septembre 2018, près de 1 800 femmes, enfants et personnes malades ont été évacués vers des pays d’accueil proches comme le Niger. Cependant, les activités du HCR ont récemment été mises à mal par l’utilisation de tenues et d’équipement de son bureau par des passeurs et membres de réseaux de trafic d’êtres humains. Consterné, le HCR a demandé aux autorités libyennes de prendre des mesures pour lutter contre ces pratiques.
Alors que l’Union européenne peine à trouver un réel accord sur la réponse à apporter en Méditerranée, la coopération avec la Libye, complexe, ne fait pas non plus l’unanimité. La Commission et certains États cherchent des alternatives afin de complètement fermer la route de la Méditerranée centrale. Prochaine étape… un accord avec l’Égypte ?