« Au Luxembourg, on dit clairement que la société d'accueil doit faire autant d'efforts, sinon plus, que la personne qui arrive chez nous »
Sérgio Ferreira, directeur politique de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) - publié le 16 décembre 2025
Le Luxembourg est un des pays européens les plus cosmopolites, la moitié de sa population étant composée d’étrangers. Sérgio Ferreira, directeur politique à l’ASTI (Association de soutien aux travailleurs immigrés), nous présente les développements récents en matière d’immigration et d’asile et les contraintes rencontrées par les personnes dans leur intégration.
Le Luxembourg est un pays fondé sur l’immigration, près de la moitié de ses habitants sont étrangers. Quelle est la politique migratoire du pays, du point de vue de la délivrance des visas et titres de séjour ?
Le Luxembourg a eu depuis des décennies une politique proactive de migration. Dès les années 1970, des accords de main-d’œuvre ont été signés avec le Portugal et la Yougoslavie, puis dans les années 1990, avec le Cap Vert.
En même temps, cette politique était toujours celle d’une migration choisie. Elle est ouverte à l’arrivée d’étrangers d’États membres de l’Union européenne, mais est assez stricte au niveau de la délivrance de titres de séjour et de visas pour les citoyens des pays tiers.
Néanmoins, il y a eu des régularisations en 1999, en 2003, en 2013 ; et cela fait 12 ans qu’il n’y en a pas eu.
Depuis 2023 et l’arrivée du nouveau gouvernement de droite, on observe un raidissement. Le Luxembourg s’aligne aujourd’hui avec la ligne dure de la plupart des pays européens en matière d’immigration de citoyens de pays tiers, alors qu’il était considéré comme l’un des pays les plus progressistes sur ces questions.
La demande d’asile est-elle importante au Luxembourg ? Est-ce un pays accueillant pour les personnes en quête de protection internationale ?
Pour ce qui est des chiffres et de l’afflux, c’est clair que le Luxembourg est un des pays européens qui accueille le plus de demandeurs de protection internationale par habitant. Le taux de reconnaissance des demandes était assez élevé : 45 % en moyenne jusqu’en 2023, plus élevé que la moyenne de l’Union européenne.
Aujourd’hui, de nouveaux problèmes apparaissent. Par exemple, en octobre 2023, le gouvernement a créé une liste d’attente pour contrôler l’accès aux structures d’accueil des hommes seuls qui ont déjà fait une demande d’asile dans un autre pays européen, laissant ce groupe de personnes à la rue ou l’obligeant à recourir aux dispositifs pour le sans-abrisme.
Au niveau de l’intégration, il y a aussi des failles puisque les autorités attendent que la personne ait le statut pour commencer son intégration. Les procédures peuvent durer deux, voire trois ans, et les personnes restent dans l’inactivité totale, ce qui génère beaucoup d’angoisse. Elles ne peuvent pas préparer la sortie de l’hébergement, qui est saturé : presque la moitié des personnes sont déjà bénéficiaires d’une protection internationale. Les conditions de vie y sont souvent indignes en raison de leur insalubrité.
Quel est l’impact de la crise du logement sur l’accueil et l’intégration des personnes migrantes ?
Au Luxembourg, la crise du logement est énorme et les prix sont très élevés. Raison pour laquelle plusieurs résidents, même luxembourgeois, choisissent de s’installer dans les pays voisins. Mais cela est impossible pour les bénéficiaires de protection internationale puisqu’ils sont contraints légalement de résider dans le pays.
Or, aujourd’hui, une famille avec enfants qui voudrait louer un appartement de trois chambres ne trouvera pas un propriétaire prêt à accepter moins que deux parents en CDI avec des salaires élevés.
Les freins à l’intégration affectent aussi directement la capacité à trouver un logement. À cela s’ajoute la question de la discrimination, puisque beaucoup de bénéficiaires de la protection internationale sont des personnes racisées. Rester dans les foyers est souvent la seule solution, mais il y a une limite légale d’un an. Plusieurs familles avec enfants reçoivent des lettres d’expulsion.
Quels sont les principaux enjeux que les personnes rencontrent dans leur intégration ?
Le Luxembourg a changé de paradigme il y a deux ans avec une nouvelle loi qui a remplacé le concept d’intégration par celui de « Vivre ensemble ». Comme deux tiers des résidents luxembourgeois sont issus de l’immigration, la société est très diverse, multiculturelle et multilingue.
Cette diversité a convaincu le monde politique d’adopter un nouveau système pour remplacer l’ancien, dont le but était l’assimilation. Avec ce concept de « Vivre ensemble », on dit clairement que la société d’accueil doit faire autant d’efforts, sinon plus, que la personne qui arrive chez nous.
Il y a plusieurs défis pour les nouveaux arrivants. Le premier concerne les langues : le luxembourgeois, le français et l’allemand ont tous une importance selon les démarches que l’on veut entamer ou le domaine où on veut travailler. Même si le français est prédominant sur le marché du travail, certaines formations professionnelles sont exclusivement en allemand, ce qui crée des obstacles dans les parcours des personnes.
L’autre grand défi concerne la reconnaissance de diplômes, excessivement compliquée pour les ressortissants de pays tiers, malgré le fait que beaucoup de personnes exilées arrivent avec des qualifications recherchées.
Une grande partie des activités de notre association consiste à apporter des solutions face à ces défis. Pour permettre aux personnes de pratiquer la langue au-delà des cours formels, on organise des tables de conversation, des cafés de langue, mais aussi du coaching linguistique, qui est mené par des bénévoles qu’on met en lien avec les apprenants pour leur permettre de monter en compétence dans un cadre protégé. On offre aussi un service de traduction orale directe, pour les situations du quotidien, comme lors de réunions scolaires avec les parents d’élèves.
On mène aussi des projets pour faciliter l’accès au marché du travail. On a récemment conclu l’initiative Coach4Work, qui permettait aux personnes de trouver un emploi ou une formation avec l’aide d’un bénévole pendant au moins 6 mois.
Selon vous, comment le débat public sur l’immigration a-t-il évolué au cours des dernières années ?
Le Luxembourg s’assume en tant que pays d’immigration et en est fier. Mais il y a eu une évolution négative depuis 2015, tout d’abord liée à la perception différente par la population des réfugiés originaires notamment du Proche-Orient. Mais plus encore, 2015 marque le rejet à près de 80 % du référendum sur le droit de vote des étrangers dans les élections législatives. En effet, les meneurs de la campagne s’opposant à ce droit ont recouru à des tactiques de manipulation et de stigmatisation en employant des propos xénophobes et racistes, qui se sont dès lors un peu plus libérés. Ces propos sont néanmoins toujours marginaux comparés à d’autres pays européens et sont considérés comme inacceptables dans l’espace public.
On constate aussi un durcissement de la politique migratoire ces dernières années, même si les figures politiques continuent à insister sur l’importance du respect de la dignité des personnes migrantes, un phénomène que je qualifie de franche hypocrisie.
Malgré cela, la loi du « Vivre ensemble » a permis de propulser de nombreuses initiatives anti-racistes, notamment la publication prochaine par le gouvernement d’un plan d’action national contre le racisme, élaboré en concertation avec les ONG. Ces développements ont eu un effet positif sur le discours public et ont permis aux personnes racisées de légitimer leur récit au sein de la société, bien qu’il reste énormément de chemin à parcourir pour consolider ces avancées.
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