L'intégration dans l'UE, une responsabilité du réfugié ou du pays d'accueil ?
Shaza Al Rihawi, Membre fondatrice du Réseau pour les voix des réfugiés (NRV), membre du Conseil consultatif de « New Women Connectors » et assistante de recherche à l’Institut Leibniz pour les parcours éducatifs (LIfBi)Les politiques d’intégration de l’UE à l’égard des migrants et des réfugiés laissent une certaine marge d’interprétation aux États membres, mais les défis posés sont les mêmes quels que soient les pays, en particulier pour les femmes. En tant que réfugiée syrienne vivant en Allemagne, je peux personnellement en témoigner. Pour ma part, je n’y ai été acceptée comme réfugiée qu’après un parcours difficile de deux ans et demi de la Syrie à l’Allemagne en passant par la Suède. Mon « intégration » professionnelle a été difficile, malgré un diplôme de troisième cycle d’une grande université américaine et un poste au HCR en Syrie pendant 8 ans dans le domaine du soutien aux femmes réfugiées et à celles victimes de violences sexuelles et sexistes. Les défis auxquels j’ai été confrontée m’ont poussée à prendre la parole sur le sujet, et certaines conclusions se sont dégagées des nombreuses interventions que j’ai faites auprès des réfugiés, des migrants et des organisations européennes.
Il est très compliqué de trouver une définition exacte du terme « intégration », tant dans les débats politiques que dans la littérature universitaire. Du point de vue des réfugiés, « l’intégration » a une connotation négative pour le nouvel arrivant, qui devrait se défaire de son identité de toujours pour être accepté par la société d’accueil. Bien que l’apprentissage de la langue et la sensibilisation aux coutumes locales aient un usage pratique évident, l’éradication complète des cultures et des connaissances d’origine mène à des situations d’exclusion pour le nouvel arrivant, et la communauté d’accueil perd alors une valeur qu’elle n’avait pas conscience de gagner. « L’inclusion » serait [un terme] moins problématique à adopter que « l’intégration ».
Cette vision actuelle de « l’intégration » est un idéal particulièrement répandu dans les régions où la volonté politique de respecter les conventions relatives aux réfugiés est faible. L’opinion populiste selon laquelle les migrants et les réfugiés sont un fardeau ne repose pas sur des statistiques, mais elle est constamment utilisée par ceux qui sont au pouvoir pour étayer leur rhétorique. La suppression du volet « intégration » du Fonds Asile, Migration et Intégration (anciennement FAMI, désormais simplement FAM) illustre la réalité des solutions européennes, axées sur la sécurisation des frontières plutôt que sur des programmes inclusifs autour de la migration. Si les États investissaient autant dans les populations réfugiées et leur inclusion que dans la sécurisation des frontières pour empêcher l’entrée des réfugiés, les résultats seraient bien plus positifs pour tout le monde.
Un autre défi réside dans le fait que les financements liés à l’intégration sont alloués aux gouvernements nationaux, qui peuvent dès lors se retirer des programmes d’intégration de l’UE, au lieu d’être attribués aux villes qui détiennent les véritables compétences en matière d’intégration. Les reportages que l’on retrouve dans les médias sont déséquilibrés et présentent trop souvent les migrants et les réfugiés comme des voleurs, des fardeaux et comme étant à l’origine des problèmes sanitaires, alors que les actions positives et les contributions des nouveaux arrivants sont ignorées. Cela dissuade les communautés locales d’accueillir de nouveaux arrivants et donne à ces derniers le sentiment d’être ostracisés et vilipendés – ce qui réfute encore plus l’idée d’intégration positive.
Dans les consultations à grande échelle auprès de réfugiés, les trois domaines clés qui reviennent régulièrement parmi les difficultés d’intégration sont le logement, le travail et la participation. Les réfugiés font état d’attitudes discriminatoires généralisées de la part des propriétaires et de logements qui ne répondent pas aux normes minimales pour une vie digne. En outre, lorsque les logements sont attribués en dehors des centres-villes, l’accès limité aux services de base et aux transports publics compromet fortement les possibilités d’emploi et d’intégration. La difficulté à trouver un emploi approprié à proximité des zones de résidence s’ajoute à d’autres problèmes soulevés par un grand nombre de migrants et de réfugiés, comme le manque de soutien à l’apprentissage de la langue locale, les difficultés de reconnaissance des qualifications obtenues dans le pays d’origine, les bas salaires et les exigences irréalistes des employeurs en matière de compétences. Comme l’a fait remarquer un réfugié en Allemagne, « l’intégration ne consiste pas seulement à apprendre l’allemand et à boire de la bière, mais aussi à avoir des droits égaux sur le marché du travail et dans la vie sociale ».
En ce qui concerne la participation, l’implication des réfugiés et des migrants dans la prise de décision et la formulation des politiques est généralement assez faible et le ton du débat politique sur la migration et l’intégration dans les pays d’accueil est assez négatif. Une participation significative des réfugiés et des migrants devrait être exigée pour toute politique et programmation les concernant. Cela permettrait de trouver de meilleures solutions, d’assurer l’appropriation [de ces politiques] et d’éviter leur simple représentation symbolique. Les réfugiés devraient être associés à la conception, au suivi et à l’évaluation des programmes spécifiques, en partenariat avec la société civile – tant dans les États membres qu’au niveau de l’UE. Comme l’ont fait remarquer les réfugiés lors de nos consultations, « nous avons le droit d’être traités avec dignité dans les communautés d’accueil – ce n’est pas un privilège ».
Les défis mis en évidence ici sont encore plus importants pour les femmes. Le manque de soutien (financier et autre) pour les organisations de femmes réfugiées reste un obstacle majeur, mais les ONG intensifient leur action là où les gouvernements échouent à venir en aide aux femmes. Du point de vue de l’UE, les efforts d’intégration des femmes migrantes sont marqués au moins autant par des réponses du bas vers le haut (bottom-up), menées par la société civile, que par des politiques du haut vers le bas (top-down) et des financements publics. Les activités des ONG comblent souvent le vide politique en faisant campagne pour les droits et les conditions d’intégration et en offrant un soutien à l’intégration des femmes migrantes. Cependant, une attention particulière au niveau des politiques et des stratégies est encore nécessaire dans plusieurs domaines :
- Intégration sociale : il faut davantage de formations et de cours de langues dispensés spécifiquement pour les femmes ainsi que de l’accompagnement, des conseils, et des échanges d’informations dans les langues maternelles. Un renforcement des réseaux permettrait de lutter contre l’isolement social ;
- Discrimination et accès aux droits : une référence spécifique aux femmes migrantes en tant que catégorie distincte serait plus efficace que la législation générale sur la lutte contre la discrimination et l’égalité des sexes ; une participation accrue à la vie civique et politique permettrait de sensibiliser aux droits et de lutter contre la violence fondée sur le sexe. Des initiatives plus larges axées sur les femmes migrantes nouvellement arrivées (et non exclusivement sur les femmes réfugiées) seraient bénéfiques ;
- Intégration sur le marché du travail : des allocations pour les mères migrantes et leurs besoins en matière de garde d’enfants, un mentorat professionnel, des possibilités de formation professionnelle et de stages, ainsi qu’un meilleur financement et une facilitation de l’entreprenariat sont nécessaires.
Il s’agit là de quelques lignes directrices pour parvenir à un modèle « d’intégration » plus digne et plus inclusif.