"L'emploi est l'un des domaines dans lesquels des progrès considérables ont été réalisés dans un certain nombre de pays"
Alexander Wolffhardt – Analyste des politiques d’intégration pour le Migration Policy Group (MPG) et coordinateur du Mécanisme national d’évaluation de l’intégration (NIEM)À l’occasion de la publication, en juillet 2020, du premier rapport comparatif de NIEM, le coordinateur du projet pour le Migration Policy Group, Alexander Wolffhardt, revient avec nous sur la genèse du projet et ses principaux enseignements.
D’où vient l’idée du projet NIEM et pourquoi ces 14 pays ont-ils été choisis pour l’étude ?
Le projet NIEM – pour Mécanisme National d’Évaluation de l’Intégration – est issu d’un projet pilote financé par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans quatre pays d’Europe centrale et orientale, qui s’est achevé en 2014. Ce projet pilote et le [projet] NIEM d’aujourd’hui ont été motivés par le désir de créer un instrument spécifique aux réfugiés pour évaluer, de manière fiable et comparative, la qualité des politiques d’intégration. Pour ce faire, les pays sont comparés selon une approche globale de l’intégration, conformément au droit européen et international, à l’aide d’un ensemble d’indicateurs qui mesurent leurs efforts.
Outre l’index MIPEX, qui concerne l’intégration des ressortissants de pays tiers en général et qui existe depuis longtemps, NIEM est un outil qui prend en compte les besoins spécifiques et la situation de résidence des bénéficiaires d’une protection internationale. Le projet pilote se retrouve toujours dans le partenariat NIEM, auquel participent huit pays de la région d’Europe centrale et orientale et du sud-est. Mais globalement, les 14 pays du projet NIEM sont sélectionnés pour représenter l’ensemble des pays de l’UE, en regroupant les pays d’arrivée d’Europe du Sud comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne, ainsi que des pays ayant une longue tradition de protection comme la France, les Pays-Bas et la Suède. Ce que nous apprend l’échantillon du projet en dit donc long sur l’état de l’intégration des réfugiés dans l’UE de manière générale.
Le premier rapport d’évaluation du projet basé sur l’année 2019 vient d’être publié. Quelles sont les dimensions de l’intégration qui posent davantage problème dans les États membres de l’UE étudiés ?
Au total, nous comparons douze dimensions de l’intégration, tels que les aspects juridiques, le logement, l’emploi et l’éducation. On se penche aussi sur la question de savoir si les gouvernements possèdent une stratégie d’intégration globale, ou dans quelle mesure ils favorisent l’implication de la société d’accueil.
L’étude menée dans tous les pays du projet porte sur des indicateurs liés aux cadres juridiques, politiques et de coordination en place. En ce qui concerne les différents domaines politiques, le logement, l’emploi et la formation professionnelle sont les dimensions où, en moyenne, les conditions [pour les bénéficiaires d’une protection internationale] sont les moins avantageuses.
Même en ce qui concerne l’apprentissage des langues, qui domine si souvent le débat sur l’intégration, les efforts des pays sont souvent assez faibles. Par exemple, dans le nouveau rapport, nous nous sommes également penchés sur les dispositions relatives aux demandeurs d’asile et, pour eux, seule la moitié des pays prévoient des cours qui permettraient d’acquérir cette compétence des plus fondamentales.
Une faiblesse générale, dans tous les pays, concerne la coopération des gouvernements avec divers acteurs, tels que les ONG et les gouvernements locaux et régionaux. Les indicateurs de NIEM mesurant cette coordination montrent généralement des résultats bien plus mauvais que ceux relatifs aux dispositions juridiques et politiques.
Dans quelle dimension de l’intégration y a-t-il eu les développements les plus positifs ? Pouvez-vous nous donner un exemple de bonne pratique particulièrement intéressant ?
Dans le nouveau rapport, nous analysons les développements qui ont eu lieu depuis 2017. L’emploi est l’un des domaines dans lesquels des progrès considérables ont été réalisés dans un certain nombre de pays. Dans les deux pays baltes concernés [par l’étude], par exemple, il existe désormais des conseils adaptés, une sensibilisation des employeurs au niveau local, ainsi que l’accès à des formations subventionnées sur le lieu de travail en Lettonie. De même, en Lituanie, un plan d’action global prévoit notamment des informations pour les employeurs, des formations sur la création d’entreprise et un suivi régulier des politiques mises en œuvre. La France obtient également de bons résultats dans ce domaine, avec son Plan d’investissement dans les compétences (PIC) et la Stratégie nationale pour l’intégration des réfugiés.
Il est intéressant de noter que ces meilleurs résultats s’expliquent en grande partie par le fait que tous ces pays s’améliorent en matière de coordination des politiques entre les différents niveaux de gouvernance et qu’ils impliquent plus fortement la société civile. Ainsi, au moins dans certains endroits, on comprend de mieux en mieux la nécessité de ce que l’on appelle souvent une “approche pan-gouvernementale et pan-sociale” (whole-of-government and whole-of-society approach) [1].
La bonne pratique qu’il convient de mentionner ici est certainement celle de la Suède. Dans ce pays, l’intégration sur le marché du travail est au cœur même de l’intégration des réfugiés, réunissant sous la coordination du service de l’emploi les partenaires sociaux, les services de d’État et les municipalités qui disposent d’une grande compétence, par exemple en matière de formation linguistique.
Suite à la pandémie de COVID-19, attendez-vous des changements majeurs en termes d’intégration tant dans le débat politique que dans le cadre juridique des pays étudiés ?
Le fait que de nombreux pays, au plus fort de la crise, aient réagi en limitant l’accès à la protection et en imposant des restrictions aux demandeurs d’asile en particulier, n’est pas de bon augure pour l’intégration. En tout état de cause, les retombées économiques de la crise seront graves pour les plus vulnérables, y compris pour les bénéficiaires d’une protection internationale récemment arrivés qui venaient de mettre un pied dans le marché du travail.
Si, par exemple, les progrès réalisés en matière d’intégration avec les arrivées de 2015-2016 venaient à être « annulés » à grande échelle par la récession, les gouvernements auraient une bonne raison de renforcer leurs efforts. En outre, ces bénéficiaires [d’une protection internationale] qui, cinq ans après leur arrivée, n’ont toujours pas d’emploi – et cela représente environ la moitié [d’entre eux], même dans les pays les plus prospères – sont confrontés à des obstacles encore plus importants dans les circonstances actuelles et devront faire l’objet d’une attention accrue de la part des décideurs politiques.
D’autre part, nous savons qu’en période de chômage élevé, le débat politique n’est pas nécessairement orienté vers la solidarité avec les migrants. Beaucoup dépendra de la mesure dans laquelle les politiques générales, y compris les mesures de soutien d’urgence prises pendant la crise, sont capables et prêtes à répondre aux besoins spécifiques des réfugiés concernés, et si des ressources seront disponibles pour un soutien ciblé, comme pour la réintégration sur le marché du travail. Nous pourrions bien assister à une aggravation des disparités existantes entre les pays européens en ce qui concerne leur capacité et leur volonté de favoriser l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale.
[1] Selon ces approches, les organismes de service public doivent travailler ensemble et de manière transversale pour atteindre un objectif commun, tout en assurant la cohérence des politiques et l’amélioration de leur efficacité. La contribution et le rôle important de toutes les parties prenantes concernées (individus, familles, communautés, ONG, universités, institutions religieuses etc.) doivent également être reconnus.
Retrouvez ici les conclusions du nouveau rapport comparatif européen de NIEM publié en juillet 2020 (en anglais) et sa synthèse. Pour la France, le rapport national NIEM 2019 élaboré par France terre d’asile est disponible ici.