Allemagne : l’avenir incertain des personnes ayant fui la Syrie, pourtant largement intégrées
Équipe plaidoyer de France terre d’asile - Publié le 16 octobre 2025
Bientôt un an après la chute du régime de Bashar al-Assad en Syrie, où la situation sécuritaire et économique demeure fragile, beaucoup de demandeurs d’asile et réfugiés syriens en Allemagne se trouvent dans l’incertitude quant à leur avenir dans le pays qui les a accueillis. Le durcissement de la politique migratoire du gouvernement conservateur de Friedrich Merz menace de nombreuses vies et carrières reconstruites à la suite de l’exil.
Hiba Obaid est une journaliste et écrivaine syrienne d’origine palestinienne, installée à Berlin. Elle travaille pour la radio Deutschlandfunk Kultur et gère le podcast Sonnenallee pour lequel elle interviewe des membres de la diaspora syrienne. Ayant participé à la révolution syrienne en 2012, elle s’est réfugiée en Allemagne où elle a fait carrière dans le journalisme, et a obtenu la nationalité allemande.
Comme beaucoup de personnes d’origine syrienne vivant en Allemagne, elle est partagée quant à l’idée de retourner en Syrie, même pour une visite. D’un côté, elle anticipe la joie de revoir le pays à la transformation duquel elle a participé, de l’autre, une confrontation aux images et souvenirs de violence passées, ranimées par les affrontements récents, lui paraît inconcevable.
L’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement à Damas le 8 décembre 2024 à la suite d’une offensive éclair a ouvert une nouvelle page de l’Histoire de la Syrie. La paix reste néanmoins fragile et les autorités sont confrontées au défi immense de la reconstruction d’un pays ravagé par plus d’une décennie de guerre. L’économie du pays est en ruines et beaucoup de personnes rapatriées vivent dans une précarité extrême, souvent sur les vestiges de leurs maisons détruites. Dans plusieurs régions, l’État est incapable de fournir les services publics les plus essentiels.
Durcissements, menaces et pressions au retour
En Allemagne, on observe un durcissement de la politique migratoire depuis l’arrivée du gouvernement de Friedrich Merz de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) en mai. Largement initié sous le gouvernement social-démocrate d’Olaf Scholz, ce tournant restrictif s’opère à travers l’intensification du contrôle des frontières, la facilitation des éloignements et les entraves à l’accès à la protection internationale, une tendance générale en Europe.
Ces développements prennent place sur fond de montée de l’extrême droite qui propage une rhétorique anti-migration, plaçant la communauté syrienne dans une incertitude croissante.
Dès la chute du régime de Bashar al-Assad, les mesures restrictives à l’encontre des personnes exilées se sont multipliées. En janvier 2025, la ministre de l’intérieur social-démocrate Nancy Faeser avait ainsi proposé de révoquer le statut de protection internationale des réfugiés syriens « qui n’ont pas le droit de rester pour […] le travail ou les études, et qui ne retournent pas volontairement en Syrie ». Depuis son arrivée au pouvoir en mai, le gouvernement de Friedrich Merz a donné l’ordre de refouler toutes les personnes exilées souhaitant demander l’asile directement à la frontière. En juin, le Bundestag a approuvé la suspension de la réunification familiale pour les détenteurs de la protection subsidiaire, un statut dont bénéficient souvent les personnes syriennes.
En juillet, lors d’un sommet entre ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, le ministre de l’Intérieur allemand Alexander Dobrindt a proposé des mécanismes facilitant l’éloignement de personnes exilées d’origine syrienne et afghane. Début octobre, dans le cadre des négociations européennes autour de la directive Retour, l’Allemagne a réitéré sa volonté de créer un nouveau cadre légal européen qui autoriserait la création de centres de retour en dehors des frontières de l’UE, rendrait possible la rétention sans limite de durée, ou encore imposerait des interdictions de retour permanentes.
La rhétorique hostile de certains politiciens comme Jens Spahn, président du groupe CDU/CSU au Bundestag, qui distingue « bons » et « mauvais » réfugiés et demandeurs d’asile en fonction de leur statut d’emploi, de leur dépendance aux services sociaux et de leur connaissance de l’allemand, contribue également à stigmatiser les personnes étrangères.
En prenant pour cibles les droits des réfugiés et demandeurs d’asile, l’Allemagne pourrait progressivement devenir un des pays européens les plus restrictifs en matière d’asile, dans une volte-face radicale par rapport à 2015, et ce malgré la réalité objective d’une intégration réussie pour les millions de personnes accueillies dans le pays.

Une intégration largement réussie
Près d’un million de personnes d’origine syrienne vivent en Allemagne aujourd’hui. La majorité d’entre elles est arrivée en 2015 pour fuir la guerre civile. La politique d’ouverture d’Angela Merkel a permis au pays d’accueillir près de la moitié des Syriens arrivés en Europe.
En dix ans, ces personnes se sont bien intégrées dans la société, notamment grâce à une politique ambitieuse initiée par le gouvernement Merkel qui a facilité l’apprentissage rapide de l’allemand et un accès simplifié au marché du travail. Ainsi, en 2024, l’OCDE classait l’Allemagne parmi les pays européens ayant un dispositif d’intégration le mieux développé. À l’heure actuelle, plus de 160 000 Syriens ont obtenu la nationalité allemande.
D’après un rapport publié par l’Institut de recherche sur l’emploi en 2024, près de 68 % des réfugiés syriens étaient employés après huit ans ou plus de séjour dans le pays, dont 86 % étaient des hommes et 33 % des femmes. La plupart des hommes occupent des postes dans les secteurs du transport, de la logistique et de la production alimentaire tandis que les femmes travaillent principalement dans les secteurs de la santé, de l’éducation et du social et du commerce. Au début de leurs parcours professionnels en Allemagne, ils sont souvent surqualifiés par rapport à leur emploi mais contribuent fortement à combler le manque de main d’œuvre dans les secteurs en tension. Cet écart diminue avec le nombre d’année passées dans le pays.
Les médecins syriens et syriennes jouent un rôle particulièrement important dans le système de santé allemand, actuellement en sous-effectif. Ils et elles sont plus de 6 000 à exercer dans le pays, représentant le groupe le plus nombreux de médecins étrangers, et occupant souvent des postes critiques dans des zones rurales.
Au-delà de leur contribution aux secteurs économiques essentiels, beaucoup de réfugiés syriens sont devenus auto-entrepreneurs dans les domaines de la restauration, de la construction et du petit commerce et ont fortement contribué au développement de l’offre de services et d’emplois.
L’intégration dans le système éducatif est aussi un succès, avec plus de 250 000 enfants syriens scolarisés dans les écoles publiques et près de 20 000 étudiants dans l’enseignement supérieur en 2025.
Néanmoins, avec la montée du discours anti-migration, tous les Syriens s’interrogent quant à leur avenir. Nour Al Zoubi vit en Allemagne depuis dix ans et travaille comme assistante sociale au Conseil pour les réfugiés de Thuringe. Elle a été naturalisée avec son enfant, et s’implique activement dans la vie politique de la ville de Gera où elle habite. Mais devant la violence de la situation politique actuelle, elle s’interroge : « parfois, je me demande si la politique allemande me considérera un jour comme faisant partie de ce pays. Ou serai-je toujours la réfugiée, la musulmane et la Syrienne ? ».
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