Quelle solidarité au sein de l’Union européenne depuis 2015 pour l’accueil des demandeurs d’asile ?
Depuis le début de l’année 2021, le drame humain qui se joue en Méditerranée centrale ne cesse de prendre de l’ampleur. Du 1er janvier au 2 juillet, au moins 723 personnes ont déjà péri lors de leur traversée dans cette région de la Méditerranée selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Pourtant, alors que seules les organisations non gouvernementales (ONG) viennent en aide aux embarcations de migrants en difficulté, ces dernières ont souvent été empêchées d’effectuer des opérations de sauvetage au cours de ces derniers mois, à l’instar du Sea-Watch 3 affrété par l’ONG éponyme, qui a été immobilisé près de sept mois par les autorités italiennes entre juillet 2020 et février 2021 en raison d’ « irrégularités techniques ».
En parallèle, les États membres de l’Union européenne (UE) situés « en première ligne » sont toujours responsables de l’accueil de la majorité des migrants qui arrivent dans l’Union, sans soutien concret de la part des autres États. Ainsi, lors du Conseil européen du 25 mai, l’appel du président du Conseil des ministres italien Mario Draghi à assister l’Italie pour gérer la hausse des arrivées à laquelle le pays fait face depuis le début de l’année, est à nouveau resté lettre morte auprès des dirigeants de l’UE.
Cette conjoncture n’est pourtant pas nouvelle. Depuis 2015, les États membres sont dans l’impasse et ne parviennent pas à se mettre d’accord pour réformer le système de Dublin actuel et mettre en place un mécanisme de solidarité structuré qui permettrait de répartir équitablement les migrants au sein de l’Union.
2015 – 2017 : l’échec du programme de relocalisation obligatoire
Si aucun accord pérenne n’a été trouvé à l’échelle européenne depuis 2015 en matière de solidarité, une initiative coordonnée par l’UE a néanmoins bien existé entre 2015 et 2017, suite à la hausse du nombre de personnes en quête de protection en Europe. Le Conseil de l’UE a ainsi, dans ses décisions de septembre 2015, mis en place un mécanisme obligatoire de relocalisation entre septembre 2015 et septembre 2017 pour 160 000 demandeurs d’asile présents en Grèce et en Italie. Cette forme de solidarité, qui avait pour ambition de ne plus faire reposer la responsabilité de l’examen de l’essentiel des demandes d’asile sur les États situés en première ligne, se basait sur un système de quotas obligatoires pour chaque État, et ne concernait que les demandeurs pour lesquels le taux moyen de reconnaissance d’une protection internationale au niveau de l’UE était supérieur à 75 %.
Malgré l’objectif ambitieux, le bilan de ce programme a mis en lumière l’échec patent de cette initiative. Suite au retrait de la Hongrie, le Conseil avait déjà revu à la baisse le nombre de personnes à relocaliser dans sa décision du 29 septembre 2016. Le 31 mai 2018, la Commission européenne indiquait que seuls 34 689 demandeurs d’asile ont été relocalisés sur l’objectif des 98 255 personnes, 12 690 seulement depuis l’Italie et 21 999 depuis la Grèce.
L’échec du programme a notamment été dû au refus de certains États membres d’accueillir, malgré le caractère obligatoire des quotas de répartition. La solidarité a notamment fait défaut à l’Est, au sein du groupe de Višegrad : la Hongrie et la Pologne n’ont ainsi accueilli aucun demandeur d’asile tandis que la République tchèque et la Slovaquie en ont accueilli respectivement 12 et 16. De même, la Hongrie et la Slovaquie ont refusé de s’incliner devant l’UE en déposant un recours contre les quotas obligatoires devant la Cour de justice de l’UE, dont elles ont été déboutées en septembre 2017.
Si le manque de solidarité de certains États membres a été frappant, il n’en reste pas moins que plusieurs pays moteurs, tels que l’Allemagne, la France ou la Suède, ont démontré une réelle volonté de bâtir une politique plus solidaire au sein de l’Union. Si Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, avait lancé les bases d’un nouveau tournant au sein de l’UE par l’introduction de ce mécanisme temporaire et obligatoire de relocalisation, l’échec de sa mise en œuvre a démontré la nécessité d’une réforme plus en profondeur du règlement Dublin III.
Dublin IV, ou une tentative de réforme avortée
La question de la nécessité d’une solidarité accrue entre États membres est née d’un constat : le système Dublin actuel ne permet pas une répartition équitable des demandeurs d’asile entre les États membres, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile incombant principalement aux pays de situés aux frontières extérieures de l’UE, sans mécanisme de solidarité structuré. Si les failles d’un tel système étaient préexistantes à la « crise de l’accueil » de 2015, cette dernière les a exacerbées.
Afin de réformer le règlement Dublin III de 2013, la Commission européenne avait présenté, le 4 mai 2016, une proposition de règlement « Dublin IV », qui prévoyait notamment que la responsabilité de l’État de premier accueil soit définitive afin d’éviter les mouvements secondaires. Dans un objectif d’assurer un partage plus équitable des responsabilités, la Commission avait inclus un « mécanisme d’attribution correcteur » automatiquement déclenché en cas de « pression disproportionnée » sur un État membre, notamment au regard de sa taille et de son PIB. Ce mécanisme devait mener dans ce cas à la relocalisation des nouveaux demandeurs, indépendamment de leur nationalité, vers l’ensemble des pays de l’Union jusqu’à ce que la « pression » exercée sur le pays baisse.
Le Parlement européen, dans sa contre-proposition du 6 décembre 2017, souhaitait quant à lui mettre en place un mécanisme de solidarité permanent, en opposition au mécanisme de crise de la Commission. Le Parlement proposait également que les liens du demandeur d’asile avec l’État membre, notamment familiaux, soient le premier critère de relocalisation dans l’UE. Le Parlement ne manquait également pas de rappeler que l’article 80 du Traité sur le fonctionnement de l’UE prévoit l’existence du principe de solidarité entre les États membres, y compris sur le plan financier.
Le règlement « Dublin IV » est resté toutefois mort-né, le Conseil de l’UE représentant les gouvernements des États membres, n’ayant jamais pris position sur le sujet.
Une solidarité ad hoc témoignant de la nécessité d’un système pérenne
Suite à l’échec du dispositif de relocalisation obligatoire et à l’impasse des négociations pour réformer le système de Dublin, l’UE a tenté de renforcer les mesures d’externalisation de sa politique migratoire au détriment d’une politique solidaire au sein de l’UE. La Commission européenne a ainsi proposé, le 28 juin 2018 lors d’un Conseil européen, l’instauration de « dispositifs régionaux de débarquement » pour orienter les personnes secourues en mer Méditerranée, soit vers un port européen, soit vers un pays tiers. Cette proposition, qui a été critiquée par beaucoup d’observateurs comme une volonté d’externalisation des responsabilités de l’UE envers les pays tiers – n’a reçu l’assentiment d’aucun pays tiers et a divisé les États membres.
Faute d’un accord et dans un contexte de refus répétés du gouvernement italien de faire débarquer des navires humanitaires dans ses ports sans accords préalables de répartition – des initiatives de relocalisation ad hoc entre États membres volontaires se sont développées depuis 2019. Le 23 septembre 2019, à Malte, les ministres de l’Intérieur français, italien, allemand et maltais ont indiqué leur volonté de mettre en place un mécanisme temporaire de débarquement des personnes secourues en Méditerranée centrale. Le Luxembourg, l’Irlande et le Portugal se sont ensuite ralliés à l’initiative. Signal encourageant de la part des dirigeants de l’UE, ces derniers ne sont néanmoins pas parvenus à concrétiser par la suite le « pré-accord » en un accord pérenne.
Face à l’urgence humanitaire dans les camps grecs surpeuplés, la Commission européenne a néanmoins réagi en mettant en place en mars 2020 un programme de relocalisation à destination de 1 600 mineurs isolés étrangers. Suite à l’incendie qui a ravagé le camp de Moria sur l’île de Lesbos en septembre 2020, treize États membres volontaires se sont engagés à relocaliser au total 5 200 personnes des îles grecques, des demandeurs d’asile et des réfugiés particulièrement vulnérables ou souffrant de problèmes de santé graves.
Au 29 juin, 4 019 personnes ont été relocalisées depuis la Grèce vers treize États de l’UE. Si ce programme ad hoc illustre une volonté réelle de certains États membres de participer à l’accueil de migrants au sein de l’UE, le constat d’une Europe à deux vitesses reste inchangé : à nouveau, l’Allemagne, la France, la Finlande, le Portugal et les Pays-Bas figurent parmi les pays ayant accueilli le plus de personnes, alors que les pays de l’Europe de l’Est demeurent les éternels absents. De même, bien que louables, ces initiatives ad hoc demeurent insuffisantes pour répondre aux besoins des milliers de personnes exilées qui se trouvent dans les pays situés en première ligne.
Face aux divergences toujours importantes entre les États membres pour l’accueil des personnes en besoin de protection, la Commission européenne a préféré proposer un système de solidarité obligatoire mais « flexible » dans le cadre de son « Pacte » présenté en 2020. Ce dernier se traduit par des mécanismes de relocalisation, de « parrainage » des retours ou encore de soutien opérationnel, applicables seulement en cas de « pression migratoire » ou de « situation de crise ». Mais les discussions autour de cette proposition s’enlisent depuis près d’un an, démontrant la nécessité d’adopter une nouvelle approche.
Article publié le 02/07/2021