Covid-19 : quel impact sur les procédures d’éloignement des migrants ?
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Le 10 février 2021, la Commission européenne a présenté pour la première fois au Conseil une évaluation de la coopération de l’Union européenne (UE) avec les pays tiers en matière de réadmission. Cette communication met en lumière l’existence d’un écart important entre le nombre de décisions d’éloignement prises et les retours forcés effectifs de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière. Ainsi, sur les 491 195 personnes qui faisaient l’objet d’une telle décision en 2019, seules 142 320 ont quitté le territoire européen, soit un taux de retour effectif de 29 %.
L’article 3 de la directive européenne « retour » du 16 décembre 2008, définit les retours comme « une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ». Cette décision implique dès lors une procédure d’éloignement : la personne doit quitter le territoire concerné par ses propres moyens ou en sollicitant une aide au retour volontaire – ou peut-être renvoyée de force dans son pays d’origine ou de transit conformément à des accords communautaires ou bilatéraux.
Alors que les États membres rencontrent depuis des années de nombreux obstacles dans la mise en œuvre des éloignements et des réadmissions, la pandémie de Covid-19 a davantage complexifié le fonctionnement de ces opérations avec la fermeture des frontières à travers le monde. Le 16 mars 2020, la Commission européenne annonçait ainsi la mise en place de restrictions concernant les déplacements « non-essentiels », rendant les éloignements inexécutables. Un mois plus tard, la Commission européenne affirmait toutefois dans ses « orientations relatives aux procédures d’asile, de retour et de réinstallation » spécifiques au contexte de Covid-19, que les procédures d’éloignement devaient « se poursuivre dans la mesure du possible ».
Malgré une baisse, la poursuite des éloignements en dépit du contexte sanitaire
Si les statistiques concernant les éloignements ne sont pas encore disponibles pour l’ensemble de l’année 2020 à l’échelle de l’UE, il apparaît que de nombreux pays de l’Union ont poursuivi les procédures de retour de migrants malgré l’enjeu sanitaire, suivant ainsi les orientations de la Commission européenne. Selon une récente étude du Réseau européen des migrations, la plupart des États a toutefois enregistré une baisse significative de l’exécution des obligations de quitter le territoire pendant la première moitié de 2020, en particulier entre mars et avril. Si une reprise des renvois est constatée en général à l’issue des périodes de confinement respectives, seuls Chypre, la République tchèque et la Pologne ont atteint en juillet 2020 des niveaux équivalents à ceux qui ont précédés la crise. En France par exemple, la crise du Covid-19 a fait chuter de près de 61 % les renvois forcés des ressortissants de pays tiers en 2020 par rapport à l’année précédente. En Allemagne, si les éloignements ont connu une baisse de 50 % au début de la pandémie, les expulsions controversées vers l’Afghanistan ont repris depuis janvier 2021 – tout comme vers le Pakistan ou l’Éthiopie, après une suspension temporaire. De même, l’Espagne a également opéré peu d’éloignements en 2020, mais une reprise des renvois vers le Maroc est constatée depuis début 2021 dans le but de réduire la pression sur les îles Canaries.
Les mesures sanitaires imposées par les pays tiers, tant pour les personnes faisant l’objet d’une décision de renvoi que pour le personnel à leur contact, ont également complexifié l’organisation des éloignements. Alors que les pays d’origine exigent la présentation d’un résultat négatif au test du Covid-19 et une période de quarantaine avant le départ et/ou à l’arrivée – dans les faits rien ne peut obliger une personne à se soumettre à un test de dépistage. En France, des personnes migrantes ayant refusé de se faire dépister ont néanmoins été condamnées pour « soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière ».
Par ailleurs, les difficultés récurrentes de coopération avec les pays tiers, liées à l’identification des personnes, à la délivrance de documents de voyage ou encore au refus de réadmission des ressortissants, ont persisté durant la crise sanitaire. Afin de lever ces freins, l’UE cherche à négocier des accords de facilitation de délivrance de visas et à octroyer son aide au développement en contrepartie des retours et réadmissions des ressortissants des pays tiers. Selon le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), la pression exercée par l’UE sur les pays d’origine est inacceptable compte tenu des difficultés auxquelles ils sont confrontés, notamment dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Outre la situation sécuritaire préoccupante, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) indique ainsi que certains pays, notamment l’Afghanistan, n’arriveraient pas à faire face au retour d’une partie de leur population et d’une éventuelle hausse des hospitalisations, faute d’infrastructures sanitaires suffisantes.
Dans un communiqué publié en mai 2020, le Réseau des Nations unies sur les migrations, composé notamment de l’OIM, du HCR, de l’UNICEF ou de l’OMS, exhortait ainsi les États à suspendre les retours forcés durant toute la durée de la pandémie, insistant sur le risque que représente de tels renvois sur la santé des migrants ainsi que sur les communautés d’accueil et d’origine. Outre le fait que les retours ne sont pas des voyages « essentiels », ECRE souligne que leur report entraîne également une multiplication des procédures administratives et judiciaires, non seulement coûteuses mais aussi délétères pour la santé mentale des migrants.
Diminution des retours : quel impact sur la rétention administrative ?
Dans un communiqué du 17 avril 2020, la Commission européenne a précisé qu’il ne faut pas interpréter les restrictions liées à la pandémie « comme menant automatiquement à la conclusion qu’il n’existe plus […] de perspective raisonnable d’éloignement ». Des associations françaises intervenant en centres de rétention et ECRE soulignaient néanmoins qu’il n’existe plus de fondement légal à la rétention en cas d’impossibilité de mener à bien les retours, plaidant ainsi pour la remise en liberté des personnes retenues. Ainsi, conformément à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme et à la directive européenne relative aux retours, la rétention n’est justifiée « que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement ». Au Royaume-Uni, la Haute Cour de justice a ainsi ordonné en février la libération sous 48 heures d’un migrant égyptien retenu depuis novembre 2019, soulignant que le ministère de l’Intérieur ne doit pas « utiliser la pandémie comme prétexte pour justifier de longs délais de rétention ».
Par ailleurs, la mise en œuvre des mesures sanitaires dans les centres de rétention, souvent surpeuplés, représente un défi majeur. Ainsi, si selon les orientations de la Commission européenne les conditions de rétention et l’état de santé mentale des demandeurs placés en rétention doivent être « une préoccupation primordiale » des autorités en temps de pandémie, les conditions d’accueil de certains pays se sont révélées inadaptées. Dans un rapport publié le 10 mars 2021, le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe dénonce notamment les conditions de rétention déplorables des migrants sur l’île de Malte, qui ne prenaient pas en compte les mesures sanitaires de lutte contre la Covid-19, entre la promiscuité, le manque de produits d’hygiène et d’accès à une activité en plein air, y compris pour les migrants les plus vulnérables.
Pour éviter de telles situations, certains États membres, à l’instar de la Belgique, du Luxembourg ou encore des Pays-Bas, ont ainsi mis en place des alternatives à la rétention ou ont procédé à la libération des personnes détenues. Alors que le Réseau des Nations unies sur les migrations appelait également les États à régulariser les personnes qui ne peuvent être renvoyées durant la pandémie, des mesures encourageantes ont été adoptées dans certains pays. En Italie, le gouvernement a notamment décidé par décret de régulariser certains travailleurs sans papiers entre le 1er juin et le 15 août 2020 dans les secteurs de l’agriculture et des services à la personne en facilitant l’obtention de permis de séjour temporaires. Selon le ministère de l’Intérieur italien, 207 000 demandes de régularisation ont été déposées à l’issue de cette période.
Si la crise sanitaire de la Covid-19 a eu pour conséquence une baisse notable de l’exécution des décisions d’éloignement, aucun État membre n’a officiellement cessé les renvois, ni à l’intérieur de l’UE, ni vers les pays tiers. Cette continuité prouve que les retours constituent un axe majeur de la politique migratoire européenne, comme le démontre le Pacte européen sur la migration et l’asile qui fait du renforcement de la coopération avec les pays tiers en matière de réadmission une priorité.
Article publié le 30/03/2021