L’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda et son incompatibilité avec le droit international
Par Maja Grundler et Elspeth Guild, doctorante et enseignante à l’Université Queen Mary de LondresLe 14 avril dernier, le gouvernement britannique a conclu un mémorandum d’entente avec le gouvernement rwandais pour la mise en place d’un partenariat en matière d’asile. Ce mémorandum prévoit le transfert « des demandeurs d’asile dont les demandes ne sont pas examinées par le Royaume-Uni, vers le Rwanda, qui sera chargé de traiter leurs demandes et d’accueillir ou expulser (selon les cas) ces personnes une fois une décision rendue ».
Suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), cet accord s’inscrit dans le cadre de la refonte du droit d’asile britannique. Toutefois, ce dernier a été publié avant que le projet de loi sur la nationalité et les frontières n’entre en vigueur – cet instrument de droit primaire censé offrir un fondement juridique au concept de pays tiers sûr qui sous-tend le mémorandum d’entente. À ce jour, une telle possibilité n’est prévue que dans la législation secondaire, dans les règles relatives à l’immigration. Néanmoins, le gouvernement britannique souhaite que le mémorandum ait un effet immédiat, le Premier ministre Boris Johnson ayant déclaré le 14 avril qu’« à partir d’aujourd’hui […] les personnes entrant de manière irrégulière au Royaume-Uni – y compris celles arrivées depuis le 1er janvier – peuvent désormais être transférées au Rwanda ». Ainsi, non seulement le mémorandum a été activé sans fondement juridique dans le droit primaire, mais il devrait être également appliqué aux demandeurs d’asile qui sont arrivés au Royaume-Uni avant même la signature de l’accord. Ces deux points suscitent de graves inquiétudes quant à l’État de droit. Par ailleurs, le mémorandum est incompatible avec les obligations du Royaume-Uni découlant de la législation sur les réfugiés, les droits de l’Homme, la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que des Pactes mondiaux des Nations unies.
Incompatibilité avec le droit d’asile et les droits de l’Homme
Le mémorandum est considéré comme un exemple d’externalisation – soit « les efforts déployés par certains États (en particulier ceux développés) pour tenter d’externaliser certaines responsabilités en matière de contrôle des frontières et d’asile ». Contrairement à d’autres exemples d’externalisation (notamment en matière de visa, ou les pushbacks effectués par des acteurs non étatiques), la question de savoir si les demandeurs d’asile concernés relèvent de la compétence de l’État qui externalise ne se pose pas pour les demandeurs d’asile arrivés de manière irrégulière au Royaume-Uni. Ces personnes relèvent clairement de la compétence du Royaume-Uni au regard des engagements internationaux pris par le pays en matière de protection des réfugiés et des droits de l’Homme.
Le mémorandum d’accord est ainsi problématique à la lumière des obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que d’un certain nombre d’instruments relatifs aux droits de l’Homme, tels que la Convention contre la torture, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention européenne des droits de l’Homme.
Tout d’abord, le mémorandum ne concerne que les personnes « dont les demandes ne sont pas examinées par le Royaume-Uni », c’est-à-dire celles qui sont déclarées irrecevables en raison de l’irrégularité de l’entrée sur le territoire britannique. Néanmoins, l’article 31 (1) de la Convention de Genève instaure le principe d’immunité pénale pour les demandeurs d’asile, reconnaissant ainsi explicitement que la plupart d’entre eux n’ont d’autre choix que d’arriver de manière irrégulière. Qualifier d’irrecevable la demande d’asile d’un réfugié arrivé de manière irrégulière dans le pays représente une violation de ce principe.
En outre, le mémorandum d’accord peut violer le principe de non-refoulement tel que défini à l’article 33(1) de la Convention de Genève, à l’article 3(1) de la Convention contre la torture, et énoncé dans d’autres instruments tels que la Convention européenne des droits de l’Homme. Alors que l’accord indique que les demandes d’asile des personnes transférées seront traitées au Rwanda conformément à la Convention de Genève et au droit international, le principe de non-refoulement s’applique non seulement au pays d’origine d’une personne, mais également aux pays tiers comme le Rwanda. Au vu du bilan du Rwanda en matière de respect des droits de l’Homme, qui selon Amnesty International comprend « des violations du droit à un procès équitable, à la liberté d’expression et à la vie privée » ainsi que « des disparitions forcées, des allégations de torture et un usage excessif de la force », il est peu probable que le Rwanda soit effectivement un pays sûr pour les demandeurs d’asile qui y seront transférés. Cela s’applique en particulier aux ressortissants rwandais, qui peuvent fuir le pays et ne doivent pas y être renvoyés sans avoir bénéficié d’un examen individuel dans le cadre de la procédure d’asile, ainsi qu’aux personnes LGBTQI+.
Par ailleurs, il n’est pas certain que le Rwanda soit en mesure de garantir les droits prévus par la Convention de Genève, ou même les droits socio-économiques en général, ce qui pourrait poser problème au regard des instruments de protection des droits de l’Homme.
Incompatibilité avec la loi contre la traite des êtres humains
Le mémorandum est également incompatible avec le droit international de lutte contre la traite des êtres humains. Bien que l’accord fasse référence au fait que le Rwanda « prend en compte » les besoins des personnes victimes de l’esclavage moderne, cela ne suffit pas à rendre l’accord conforme aux obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (ECAT). Tout d’abord, le Royaume-Uni a l’obligation d’identifier les personnes victimes de la traite conformément à l’article 10 de la Convention. Dès qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne est une personne victime de la traite, cette personne « ne peut être éloignée du territoire [de l’État signataire] jusqu’à la fin du processus d’identification » (article 10, paragraphe 2, de la Convention). En outre, les personnes pour lesquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles sont victimes ont droit à un délai de rétablissement et de réflexion d’au moins 30 jours en vertu de la Convention, pendant lequel, conformément à l’article 13 (1), « les Parties autorisent le séjour de la personne concernée sur leur territoire ».
Par ailleurs, les victimes de la traite qui sont identifiées de manière concluante peuvent être éligibles à un permis de séjour (article 14 de la Convention). Bien que la délivrance de tel permis de séjour soit formulé comme une disposition discrétionnaire dans la Convention, depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême du Royaume-Uni en 2020 dans l’affaire MS (Pakistan), les personnes victimes de la traite au Royaume-Uni doivent se voir accorder un permis de séjour lorsque l’enquête sur leur situation est toujours en cours. Enfin, l’article 12 (3) et l’article 12 (4) de la Convention prévoient une assistance médicale et un accès au marché du travail pour les « victimes résidant légalement sur le territoire [de l’État] ».
Incompatibilité avec les obligations du Royaume-Uni en vertu des Pactes mondiaux des Nations unies
En 2018, le Royaume-Uni a approuvé le Pacte mondial sur les réfugiés (PMR) et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM). Bien que les Pactes ne soient pas contraignants et ne créent pas de nouvelles obligations pour les États, l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda est incompatible avec les obligations du Royaume-Uni au regard du droit international sur lequel les Pactes sont fondés, ainsi qu’avec les principes directeurs et les objectifs des Pactes.
Les Pactes reposent sur les principes de non-discrimination et de non-régression, de respect de l’État de droit et de respect des engagements en matière de droits de l’Homme. Le principe de non-régression est notamment à souligner dans le contexte du mémorandum d’entente. Ce principe garantit que les États qui approuvent le PMM n’adoptent pas de dispositions juridiques moins favorables que celles en vigueur au moment de l’adoption du Pacte. Le mémorandum d’entente, néanmoins, marque clairement un recul et donc est incompatible avec les engagements pris dans le cadre du Pacte mondial. En outre, l’objectif 5 de ce dernier appelle les États à développer les voies de migration régulières, et l’objectif 7 à s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations. Le mémorandum va à l’encontre de ces deux objectifs. Au lieu d’offrir aux réfugiés des voies sûres et légales vers le Royaume-Uni, les personnes en besoin de protection arrivées de manière irrégulière sont expulsées vers un pays qui n’est pas le mieux placé pour répondre à leurs besoins.
En parallèle, le PMR indique clairement que pour parvenir à un partage efficace des responsabilités en matière d’asile, les États doivent privilégier le transfert de ressources, et non de personnes. Si le PMR appelle à la réinstallation des réfugiés, il ne prévoit pas le transfert des demandeurs de protection.
Conclusion
Alors que la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a condamné le mémorandum d’entente entre le Royaume-Uni et le Rwanda, le Danemark chercherait à conclure un accord similaire avec le pays d’Afrique de l’Est. En théorie, la directive européenne « procédures » (à laquelle le Danemark n’est toutefois pas lié) fournit le fondement juridique requis pour renvoyer les demandeurs d’asile dans un « pays tiers sûr » (articles 33 et 38). Cependant, à la lumière de ce qui a été évoqué précédemment, le Danemark et les autres États tentés par l’idée de conclure leur propre accord avec le Rwanda devraient y réfléchir à deux fois.
Au Royaume-Uni, le mémorandum d’entente risque d’entraîner des défis tant sur le plan juridique que pratique. Des poursuites judiciaires seront vraisemblablement engagées, les personnes concernées par les transferts cherchant à contester leur renvoi. En outre, la BBC rapporte que le Rwanda « disposerait de suffisamment d’espace pour accueillir une centaine de personnes à la fois, et jusqu’à 500 par an », tandis que, selon les statistiques gouvernementales, en 2021, plus de 35 000 personnes sont entrées au Royaume-Uni de manière irrégulière, dont 28 526 par bateau.
Article publié le 13/06/2022 sur Vues d’Europe, et publié le 29/04/2022 sur eumigrationlawblog.eu
Nota bene: cet article a été traduit de l’anglais par France terre d’asile. Son contenu reflète uniquement la position des autrices.