Proposition de règlement Retour pour l’Union européenne : l’éloignement au détriment des droits humains

La Commission européenne a proposé, au mois de mars, un nouveau règlement qui remplacerait la directive « Retour » de 2008. Cette proposition, dont l’objectif affiché est d’accroitre les éloignements, implique un risque majeur pour les droits des personnes en quête de protection et valide le principe des centres de retour, sous la pression de certains États membres.
NB : cet article utilise le terme de « retour », utilisé par les institutions européennes, pour désigner les procédures d’éloignement et d’expulsion ; il ne fait pas référence au « retour volontaire ».
Pensée par et pour l’extrême-droite italienne, l’idée de transférer des personnes migrantes dans des pays tiers avait déjà fait son chemin en Europe avant d’être proposée par la Commission européenne. Au Royaume-Uni, c’est la Cour suprême qui avait mis fin au projet du gouvernement d’éloigner des personnes en demande d’asile vers le Rwanda, jugeant que ce n’était pas un pays sûr. Le gouvernement du Danemark, lui, poursuit son projet, en préparation depuis 2021, de louer 300 places dans une prison au Kosovo pour y envoyer les personnes étrangères condamnées à l’éloignement pour des infractions. Quant à l’Italie, l’utilisation de ses centres en Albanie pour un traitement extraterritorial des demandes d’asiles a été interdite par la justice.
Dans un contexte où les partis de droite et d’extrême-droite ont un pouvoir croissant dans les États membres et au Parlement européen, et où le Parti populaire européen (PPE) adopte une position extrêmement dure sur la migration et l’asile, la Commission a plié face aux exigences de certains pays membres. Sa proposition de règlement Retour satisfait l’extrême droit : Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex à présent eurodéputé du Rassemblement national, s’est ainsi réjoui d’une proposition qui « va dans la bonne direction ».
Jusqu’ici inconcevables, les centres de retour au cœur de la proposition
Dix-sept États membres, au premier rang desquels l’Italie, avaient demandé une nouvelle proposition législative qui permettrait d’obtenir des « retours plus efficaces ». En réponse à cette demande, la proposition de règlement ouvre une voie légale pour les États qui veulent établir des « plateformes de retour » dans des pays tiers.
Présentée comme pilier du Pacte sur la migration et l’asile, la proposition de règlement remplace la directive « Retour » de 2008 qui prônait les alternatives à la rétention. En cas d’adoption du règlement, les centres de retour, en réalité des centres de rétention hors du territoire européen, seraient destinés aux personnes en séjour irrégulier dans l’Union européenne (UE) qui auraient fait l’objet d’une décision d’éloignement définitive. Les centres seraient créés à la suite d’un accord bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, ou au niveau de l’UE.
La Commission avait pourtant rejeté la faisabilité juridique et politique d’un tel modèle en 2018, rappelant que « la législation européenne en matière de retour ne permet[tait] pas d’envoyer une personne, contre son gré, dans un pays dont elle n’est pas originaire ou par lequel elle n’a pas transité ». Elle avait relevé le risque élevé de violation du principe de non-refoulement et souligné que « la compatibilité de ce scénario avec les valeurs de l’Union européenne [était] discutable. »
De même, au mois de février dernier, l’agence de l’UE pour les droits fondamentaux (FRA) avertissait déjà dans son document de positionnement sur les centres de retour des nombreux dangers que présente cette proposition. L’agence a notamment déclaré que les centres de retour ne devaient pas être des « zones de non droit » et a rappelé la responsabilité de Frontex et des États membres en cas de violations des droits qui auraient lieu après les transferts dans les centres.
À un moment où les refoulements aux frontières de l’UE sont déjà largement recensés à la frontière entre le Belarus et l’UE, en Méditerranée ou encore en Finlande, la FRA alerte sur les risques d’expulsions collectives et de refoulements. L’agence a recommandé l’interdiction de transfert des personnes vulnérables et des enfants et la mise en place d’évaluations ex ante des risques pour éviter les violations du droit, permettre un transfert de façon légale, éviter la détention arbitraire et encadrer le traitement des personnes placées dans les centres.
Priorité aux retours forcés
La proposition de règlement Retour introduit une nouvelle « décision de retour européenne » ainsi que la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement par les États membres. En cas d’adoption du texte, la marge de manœuvre des États serait limitée : le choix d’un règlement d’application directe, sans transposition nécessaire à l’échelle nationale, au lieu d’une directive, vise à réduire les disparités entre États membres.
La Commission prévoit par ailleurs qu’une décision d’éloignement soit systématiquement suivie d’une demande de réadmission et limite les options de retour volontaire. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) a réagi à la proposition de la Commission en rappelant que le retour volontaire constitue « l’option la plus efficace, la plus digne et la plus durable » et doit rester l’option privilégiée.
La proposition implique également un risque de réadmission dans un pays dans lequel il y a des violations des droits humains. La décision d’éloignement serait prise sans réelle prise en compte des vulnérabilités : le texte ne prévoit à ce stade pas de définition de la vulnérabilité et les risques de violences fondées sur le genre ou d’atteintes aux droits des personnes LGBTQI+ dans les centres de retour ne sont pas pris en compte. Récemment, les Pays-Bas ont proposé un accord à l’Ouganda, un pays aux lois anti-LGBTI+ les plus strictes au monde, dans l’objectif d’y éloigner les personnes dont les demandes d’asile seront rejetées. Un tel accord sur la base du texte proposé par la Commission présenterait des risques majeurs de violation des droits fondamentaux des personnes LGBTI+.
Rétention allongée, coupes dans les allocations et droit au recours affaibli
La proposition de règlement Retour prévoit l’introduction de nouvelles sanctions pour défaut de « coopération » suffisante avec les autorités chargées de l’éloignement. Les personnes sanctionnées pourraient se voir refuser des allocations sociales ou se voir saisir leurs documents de voyage.
La proposition de la Commission envisage aussi un recours accru aux interdictions d’entrée sur le territoire et prévoit l’allongement de la durée de rétention maximale à 24 mois pour les personnes en situation irrégulière qui présenteraient un « risque de fuite » ou de mouvement secondaire, ainsi que des dérogations étendues pour les personnes considérées comme présentant un « risque pour la sécurité ». Le HCR a recommandé une révision de la liste des motifs de rétention, en particulier celui de « risque de fuite », jugeant qu’il existait un risque d’interprétation et d’application trop large, et a rappelé que la rétention devait être une mesure de dernier recours.
Le texte proposé présente également un danger d’affaiblissement des garanties procédurales : l’effet suspensif des recours ne serait plus automatique, et des personnes pourraient alors être expulsées de l’UE avant qu’une décision judiciaire sur leur recours ne puisse être rendue.
La proposition de la Commission est largement dénoncée par la société civile. Picum regrette la priorité donnée au contrôle des frontières et aux expulsions au détriment d’une politique qui favoriserait l’inclusion des personnes exilées, tandis qu’Amnesty international et plus de 100 organisations de défense des droits humains à travers l’Europe ont averti que cette proposition s’éloignait de façon alarmante du droit international.
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